Les prochaines Rencontres La Fontaine


Dimanche 5 mai 2024 à 15h30

 

Le Lièvre et les Grenouilles

 

 

Un Lièvre en son gîte songeait

(Car que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?) ;

Dans un profond ennui ce Lièvre se plongeait :

Cet animal est triste, et la crainte le ronge.

          Les gens de naturel peureux

          Sont, disait-il, bien malheureux :

Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite.

Jamais un plaisir pur ; toujours assauts divers.

Voilà comme je vis : cette crainte maudite

M’empêche de dormir, sinon les yeux ouverts.

Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle.

          Et la peur se corrige-t-elle ?

          Je crois même qu’en bonne foi

          Les hommes ont peur comme moi.

          Ainsi raisonnait notre Lièvre,

          Et cependant faisait le guet.

          Il était douteux, inquiet ;

Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre.

          Le mélancolique Animal,

          En rêvant à cette matière,

Entend un léger bruit : ce lui fut un signal 

          Pour s’enfuir devers sa tanière.

Il s’en alla passer sur le bord d’un étang :

Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes ;

Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes.

          Oh ! dit-il, j’en fais faire autant

          Qu’on m’en fait faire! ma présence

Effraie aussi les gens! je mets l’alarme au camp !

          Et d’où me vient cette vaillance ?

Comment ! des animaux qui tremblent devant moi !

          Je suis donc un foudre de guerre ?

Il n’est, je le vois bien, si poltron sur la terre,

Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi.

 

 

 


Un prochain dimanche de l'année...

 

Les Poissons et le Berger qui joue de la flute

Tircis, qui pour la seule Annette
               Faisait résonner les accords
               D'une voix et d'une musette
               Capables de toucher les morts,
               Chantait un jour le long des bords
               D'une onde arrosant des prairies,
Dont Zéphire habitait les campagnes fleuries.
Annette cependant à la ligne pêchait ;
               Mais nul poisson ne s'approchait.
               La Bergère perdait ses peines.
               Le Berger qui par ses chansons,
               Eût attiré des inhumaines,
        Crut, et crut mal, attirer des poissons.
Il leur chanta ceci : Citoyens de cette onde,
Laissez votre Naïade en sa grotte profonde .
Venez voir un objet mille fois plus charmant.
Ne craignez point d'entrer aux prisons de la Belle :
               Ce n'est qu'à nous qu'elle est cruelle :
               Vous serez traités doucement,
               On n'en veut point à votre vie :
Un vivier vous attend, plus clair que fin cristal.
Et, quand à quelques-uns l'appât serait fatal,
Mourir des mains d'Annette est un sort que j'envie.
Ce discours éloquent ne fit pas grand effet :
L'auditoire était sourd aussi bien que muet.
Tircis eut beau prêcher : ses paroles miellées
               S'en étant aux vents envolées,
Il tendit un long rets. Voilà les poissons pris,
Voilà les poissons mis aux pieds de la Bergère.
Ô vous Pasteurs d'humains et non pas de brebis,
Rois qui croyez gagner par raisons les esprits
               D'une multitude étrangère,
Ce n'est jamais par là que l'on en vient à bout ;
               Il y faut une autre manière :
Servez-vous de vos rets, la puissance fait tout.