Les prochaines Rencontres La Fontaine



Dimanche 1er octobre 2023 à 15h30

 

LE CHÊNE ET LE ROSEAU

 

Le Chêne un jour dit au roseau :

Vous avez bien sujet d'accuser la Nature ;

Un Roitelet  pour vous est un pesant fardeau.

            Le moindre vent qui d'aventure

            Fait rider la face de l'eau,

            Vous oblige à baisser la tête :

Cependant que mon front, au Caucase pareil,

Non content d'arrêter les rayons du soleil,

            Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon ; tout me semble zéphir.

Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage

            Dont je couvre le voisinage,

            Vous n'auriez pas tant à souffrir :

            Je vous défendrais de l'orage ;

            Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des Royaumes du vent. 

La Nature envers vous me semble bien injuste.

 Votre compassion, lui répondit l'Arbuste ,

Part d'un bon naturel ; mais quittez ce souci.

     Les vents me sont moins qu'à vous redoutables. 

Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici

            Contre leurs coups épouvantables

            Résisté sans courber le dos ;

Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots,

Du bout de l'horizon accourt avec furie

            Le plus terrible des enfants

Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs.

            L'Arbre tient bon ; le Roseau plie.

            Le vent redouble ses efforts,

            Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine,

Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.


Dimanche 5 novembre 2023 à 15h30

 

LA BESACE

 

Jupiter dit un jour : Que tout ce qui respire
S'en vienne comparaître aux pieds de ma grandeur.
Si dans son composé quelqu'un trouve à redire,
            Il peut le déclarer sans peur :
            Je mettrai remède à la chose.
Venez, Singe ; parlez le premier, et pour cause.
Voyez ces animaux, faites comparaison
            De leurs beautés avec les vôtres :
Êtes-vous satisfait ? Moi ? dit-il, pourquoi non ?
N'ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres ?
Mon portrait jusqu'ici ne m'a rien reproché ;
Mais pour mon frère l'Ours, on ne l'a qu'ébauché :
Jamais, s'il me veut croire, il ne se fera peindre.
L'Ours venant là-dessus, on crut qu'il s'allait plaindre.
Tant s'en faut : de sa forme il se loua très fort ;
Glosa (1) sur l' Éléphant, dit qu'on pourrait encor
Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles ;
Que c'était une masse informe et sans beauté.
            L' Éléphant étant écouté,
Tout sage qu'il était, dit des choses pareilles :
            Il jugea qu'à son appétit 
            Dame Baleine était trop grosse.
Dame Fourmi trouva le Ciron trop petit,
            Se croyant, pour elle, un colosse.
Jupin les renvoya s'étant censurés tous,
Du reste , contents d'eux ; mais parmi les plus fous
Notre espèce excella ; car tout ce que nous sommes,
Lynx envers nos pareils, et taupes  envers nous,
Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes 
On se voit d'un autre œil qu'on ne voit son prochain.
            Le Fabricateur souverain
Nous créa Besaciers tous de même manière,
Tant ceux du temps passé que du temps d'aujourd'hui 
Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts d'autrui.